Recherches
« Le ventre de l’architecte »
Auteurs de l’étude Raphaël Ménard, Blandine Laplace, Mathilde Lépine, Louise Jammet.
Certains se souviennent de ce film de 1987 de Peter Greenaway, Le ventre de l’architecte, où il était question d’un architecte en prise avec ses douleurs stomacales. Pour cet article, nous interrogerons davantage l’appétit des concepteurs, ce désir de bâtir (parfois cet hubris constructif), ce « ventre » de la consommation de ressources que cette gourmandise anime. L’architecte (ou l’ingénieur) est un grand prescripteur de matières : lorsqu’il lève son stylo pour esquisser une intention, lorsqu’il rédige des lignes de ses cahiers de prescriptions, il commande (parfois sans en prendre vraiment conscience) un flot considérable de matières. Aujourd’hui, lorsqu’un architecte conçoit, il commande environ 700 kilos de matières finales par heure travaillée, et au cours d’une carrière, sans doute l’équivalent d’un cube rempli de matériaux, de près de 25 mètres de côté. Pourtant, il y a une vingtaine d’années, le designer Thierry Kazazian nous invitait à « L’âge des choses légères ». Mais de quelle légèreté s’agit-il ? Est-elle résumable à la masse totale de matières prescrites par les concepteurs ? Ce rapport à la production architecturale, à l’œuvre bâtie, pose des questions essentielles. On songe à Louis I. Kahn, à la frugalité numéraire de ses références construites, et à Ieoh Ming Pei, l’architecte de la pyramide du Louvre et de centaines d’édifices dans le monde, qui aurait volontiers échangé tout son portfolio pour les chefs d’œuvre de son idole 3 ! En ce début de XXIè siècle, à l’heure des crises écologiques majeures, dont celle de la rareté des matières à construire, nous amorçons l’enquête. Après l’accélération extractiviste de la modernité conquérante, nous ébauchons des éléments de méthode en faisant « monter sur la balance » un panel de cinq architectes, emblématiques et représentatifs du xxe siècle.